Ces chemins en voie de disparition
Les chemins ruraux, un espace en voie de disparition
Des promeneurs en terre agricole.
VOL. Ces quarante dernières années, au moins 250.000 kilomètres de chemins ruraux ont disparu ! Cela représente près d’un quart de ce réseau ancien de liaisons entre fermes, lieux-dits, hameaux et communes, tous ces itinéraires pas assez fréquentés pour être goudronnés mais utiles au passage des promeneurs, sportifs, agriculteurs et cueilleurs de champignons. Les raisons de cette lente disparition ? “Le vol” assène Jacky Boucaret, administrateur de l’association « Vie et Paysages ». Ces passages sont annexés par des riverains peu scrupuleux. En majorité, ces captations sont le fait d’agriculteurs, qui augmentent ainsi la surface de leurs champs à peu de frais.
Pourtant officiellement itinéraire de grande randonnée, ce chemin est devenu un champ agricole et ne peut être emprunté qu’après la récolte. © Boucaret
Les chemins ruraux ont un statut complexe. À la suite d’un inventaire complet effectué dans les années 1880, ces routes obtiennent un statut légal de voie communale publique affecté à l’usage des citoyens et qui sont entretenus par une “corvée” obligatoire d’entretien par les habitants de la commune. Avec l’exode rural et les remembrements agricoles, une loi de 1959 transfère les chemins dans le domaine privé communal bien qu’ils aient toujours un usage public. Ce changement de statut permet aux maires de vendre plus facilement des passages peu fréquentés et qu’ils ont du mal à entretenir. Surtout, il autorise une bizarrerie administrative : la prescription acquisitive ou usucapion. « Si, pendant trente ans, au vu et au sus de tout le monde, sans violence et sans contraintes, vous avez utilisé un bien, celui-ci vous est considéré comme acquis, s’insurge Jacky Boucaret. Les agriculteurs ont bien profité de cette façon de s’arroger gratuitement de la terre et cela continue aujourd’hui. »
Des balades qui se terminent en impasses
RANDONNÉES. Depuis les années 1980, les agriculteurs ne sont cependant plus les seuls à arpenter les territoires ruraux. L’essor des randonnées pédestres, des cyclo-cross et des simples balades dans la nature ont ramené bon nombre de Français vers les petits chemins. Et ces nouveaux utilisateurs sont très souvent tombés sur des impasses quand bien même les relevés cadastraux indiquaient que l’itinéraire avait bien une issue. L’association Chemins de Picardie a ainsi vérifié à pied l’existence des 40.000 kilomètres de réseau officiellement présents sur les cadastres de l’ancienne région. Et a acté la disparition de 10.000 kilomètres !
Sur la commune de Coulombs en Valois, un circuit officiel balisé a été cultivé. Le conflit dure depuis plus de 6 ans. © Boucaret
La plupart de ces captations sont évidemment illégales. Réunis au sein du collectif Chemins ruraux en danger, des associations de protection de l’environnement ont d’abord signalé le phénomène aux services du Commissaire européen chargé de l’agriculture. « Nous sommes en effet dans une situation où les récoltes provenant de terres volées sont de plus subventionnées par la politique agricole commune (PAC) », poursuit Jacky Boucaret. Sans vouloir s’immiscer dans les affaires intérieures de la France, les services européens ont cependant confirmé que pour avoir droit aux aides de la PAC, un agriculteur doit bien être officiellement propriétaire ou locataire en titre de sa terre. Ce qui pour les chemins mis en labour n’est pas le cas. Le ministère français de l’Agriculture ne peut, lui, qu’avouer son manque de vigilance. Les subventions sont attribuées à la tonne de produits récoltée et personne ne vérifie si l’agriculteur est bien propriétaire de la surface.
USUCAPION. Les associations n’ont à leur disposition qu’une solution malcommode, onéreuse, ingrate et lente : les tribunaux administratifs. On peut en effet attaquer le maire de sa commune parce qu’il n’utilise pas ses pouvoirs de police pour faire respecter la liberté de circulation. Des procédures sont en cours. Mais il est certainement plus efficace d’informer les parlementaires pour qu’ils modifient la loi. C’est ainsi que le Sénat a adopté en mars 2015 une proposition de loi de quatre articles très techniques permettant de protéger les chemins ruraux. Ce texte impose que les communes établissent un inventaire de leurs réseaux, les chemins ainsi répertoriés bénéficiant d’une protection contre tout usage à titre privé. Et surtout, l’usucapion est stoppée.
Las, la proposition de loi est restée bloquée sur le bureau de l’assemblée nationale. Aussi, les parlementaires ont-ils eu l’idée d’intégrer ces articles à la loi sur la biodiversité. Ces chemins ruraux constituent effectivement des « corridors écologiques » facilitant le déplacement des espèces animales, la bonne santé des pollinisateurs et la dispersion des végétaux. Ce sont donc de bons outils pour créer les « trames vertes » de continuité de la nature que les régions françaises doivent désormais élaborer. Le Conseil constitutionnel y a vu un « cavalier législatif « . En clair, on n’introduit pas une loi dans une autre loi. Et il a retoqué.
Ce revers ne décourage pas les associations. « Au moins, cette épisode nous a permis de faire parler de ce problème », se console Jacky Boucaret. Désormais Chemins ruraux en danger va faire le siège du bureau de l’Assemblée nationale pour que le texte adopté par le Sénat continue son parcours législatif. En attendant, Mireille peut s’inquiéter : les « petits chemins qui sentent la noisette » disparaissent silencieusement.
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